Intouchables, un film d'Eric Toledano et Olivier Nakache, sorti en salles en France en 2011.
Un peu comme pour Bienvenue chez les Chtis, on s’attendait au pire, mais au moins on s’attendait à rire. Comme dans le film de Dany Boon on anticipait une avalanche de bons sentiments et une morale réconciliatrice entre personnes socialement opposées. La morale réconciliatrice est belle et bien présente dans Intouchables, mais pas les bons sentiments, ce qui est pire encore. Autre différence importante avec les Chtis, nous avons très peu ri. Trois ou quatre fois peut-être. C’est le pire défaut du film. A notre sens, Intouchables n’est pas drôle, triste pour une comédie. Les blagues ne marchent pas et les gags font à peine sourire. Évidemment, le rire est un phénomène relatif, une bonne partie de la salle riait à gorge déployée. Au fond, ce qui empêche le rire vient du sentiment de malaise que le film peut faire naitre chez le spectateur. La vision du monde véhiculée dans le film est tellement critiquable qu’elle empêche toute connivence, donc tout rire. C’est exactement le contraire de Bienvenue chez les Chtis où le rire était possible car les idées et valeurs portées par le film n’étaient pas complètement détestables.
Dans Intouchables ce qui frappe c’est d’abord le mépris exhibé envers tous ceux qui ne sont pas Driss et Philippe. Il n’y a aucune bienveillance, aucune solidarité. Pour montrer la forte amitié naissante entre ces deux hommes, les réalisateurs se sentent obligés de ridiculiser tous les seconds rôles. Hélas, à la différence de nos deux héros, ce ne sont pas des êtres d’exceptions. Le mépris commence dans la scène de recrutement d’un nouvel aide à domicile par Philippe et son assistante. On nous montre bien que les candidats qui n’ont pas la chance d’être Driss sont tous des abrutis, parce qu’ils sont trop gentils, trop peu confiants en eux, trop diplômés. D’ailleurs ils sont tellement nuls qu’ils acceptent docilement de se faire piquer leur tour par Driss. Cette situation revient plusieurs fois dans le film et déclenche quelques rires inexplicables : en bon sauvage, Driss le costaud utilise sa carrure pour intimider des petits blancs dociles. Ainsi Driss va mettre un coup de pression à un voisin qui se gare devant l’entrée de Philippe, à l’ex petit ami de la fille de Philippe pour qu’il lui amène des croissants chaque matin, à un parent de Philippe lors de son anniversaire pour lui prendre sa place à coté de la jolie rousse, à un serveur de restaurant pour qu’il vienne plus rapidement, etc. A chaque fois, ce qui est souligné, c’est que Driss est légitime puisque ses interlocuteurs sont trop gentils, trop mous et trop niais pour se révolter. Le dominé devient donc dominant avec la seule arme à sa disposition, l’intimidation. On a du mal à comprendre pourquoi c’est drôle.
Au-delà du mépris, le film est également très vulgaire. Il y a un manque de finesse dans l’humour qui est difficilement supportable sur un long format. Si l’humour d’Omar dans le SAV des émissions fait souvent mouche sur quelques minutes, dans Intouchables on est proche de l’overdose. Ainsi les blagues sur les chtis de Dunkerque qui n’ont pas toutes leurs dents et qui frappent leur femme après avoir trop bu, les vannes sur la musique classique et l’art abstrait, sur les maux de ventre d’Yvonne, la scène où Driss rase Philippe en le faisant passer de José Bové à Hitler sont un sommet de mauvais gout. Vulgaire, c’est également le rapport aux femmes de Driss qui n’a pas la chance d’entretenir des relations épistolaires raffinées comme peut le faire Philippe. Driss court après tout ce qui bouge, même si la relation doit être tarifée. Ici, on peut noter le nouveau cliché à la mode dans le cinéma occidental : la prostituée soumise, docile et un peu cochonne est forcément asiatique.
On s’attendait à Bienvenue chez les chtis et on a eu Vénus Noire. Le film, qui peine à trouver son rythme, est ponctué de saynètes où Driss va faire rire l’aristocrate par son coté exotique. Driss et l’art abstrait (« le mec il a saigné du nez sur une toile blanche »), Driss et la musique classique (« tout le monde connait ça c’est la musique d’attente des Assedic »), Driss et l’opéra (« et c’est en allemand en plus ? Pendant quatre heures ? »), Driss et les restaurants chics (le mi-cuit des deux Magots n’était pas assez cuit), Driss et les jets privés (« Mais ils sont où les autres passagers ? »), Driss et le shampooing, etc. Le sommet étant atteint lorsque Driss décoince les bourgeois lors de la fête d’anniversaire de Philippe et leur apprend à danser. On retrouve ici le mythe du bon sauvage, qui est tellement différent, qui apporte tellement de fraicheur dans le monde si coincé de la bourgeoisie, qui a un bon fond mais qui peut quand même s’énerver si on lui marche sur les pieds. C’est d’ailleurs lorsqu’il redevient le sauvage violent qu’il est vraiment au fond de lui que la salle rigole le plus. Bizarre.
Plus généralement, l’idéologie véhiculée par Intouchables est celle des nouveaux riches. Pas une fois dans le film la richesse de Philippe n’est questionnée. Ni par Driss, ni par un autre personnage. Philippe est riche, tant mieux pour lui, ce n’est pas un problème. Driss est pauvre, il a eu moins de chance. C’est pourquoi un piano larmoyant rythme toutes les scènes où on voit sa mère ou sa famille nombreuse dans un tout petit logement. Par contre, c’est la culture du riche qui est moquée. Ce qui pose problème ce n’est pas la richesse, c’est ce qu’on en fait. Utiliser son argent pour acheter des tableaux, aller à l’opéra ou écouter de la musique classique, c’est vraiment trop nul .C’est dépassé, beaucoup trop vieux jeu. On se demande pourquoi Philippe ne va pas au théâtre ou au cinéma, autres lieux de la culture dominante, peut-être les réalisateurs ont-ils eu peur de se tirer une balle dans le pied. Au contraire, ce qui est valorisé c’est de conduire vite dans de belles voitures, de se rendre où on veut en jet privé, de se faire plaisir dans des grands restaurants et de s’amuser en faisant du parapente. Dans cette vision de la bonne vie, l’idéal serait d’avoir l’argent de Philippe et la culture de Driss.
A part ça, la mise en scène est absente – champ-contrechamp à volonté. Heureusement le film est fort bien joué. Malgré la faiblesse des dialogues et des situations, Omar Sy réussit à nous faire rire parfois. Notamment à l’opéra lorsqu’il découvre que l’un des chanteurs est déguisé en arbre. Sa surprise est ici communicative. On rigole également lorsqu’il piège Philippe dans un des rares dialogues où Driss fait rire par son intelligence plus que par sa spontanéité ou son coté ignorant des normes. C’est au tout début du film, pendant la scène de recrutement. Philippe lui demande ses références, Driss parle de Kool and The Gang et Earth Wind and Fire. Philippe ne connait pas, lui il connait Vivaldi, Bach ou Berlioz. Driss s’étonne : « tu connais qui à Berlioz ? » Condescendant, Philippe lui explique qu’avant d’être un quartier, Berlioz est un compositeur connu. Driss lui coupe la parole et est obligé d’expliciter sa blague. Il savait, il voulait juste faire l’idiot. C’est réussi. C’est drôle, mais hélas ce genre de scène ne se reproduira plus. C’est dommage, le film ne s’élèvera jamais. Au contraire, on redescend toujours plus bas vers le mépris et la vulgarité.