La blessure, la vraie, un livre de François Bégaudeau publié en 2011.
Juillet 86. François à quinze ans et passe quelques jours de vacances dans sa maison de Saint-Michel-en-L’Herme. Depuis son déménagement à Nantes il y revient tous les étés. Cet été « Le Nantais », comme l’appellent ses anciens amis, a un objectif : trouver une fille et enfin réussir à coucher. Il a entendu à la radio que les garçons ont leur premier rapport sexuel à quinze ans et il ne souhaite pas déroger à cette norme pesante. Mais rien ne se déroule comme prévu. Tous les éléments sont contre lui : un bouton d’acné pousse juste au mauvais moment, un tournoi de tennis gâche des heures précieuses pour sa recherche, des copains beaucoup moins timides que lui, une ex qu’il faut esquiver parce qu’elle ne couche pas, etc. Le suspens opère assez rapidement : François réussira-t-il à coucher ? mais attention, il ne couchera pas avec une fille plus jeune que lui, ni plus laide. Quinze ans et onze sur vingt minimum.
A travers cette histoire légère et un brin macho, Bégaudeau réussit à trouver le ton juste pour qu’on saisisse parfaitement les états d’âme du narrateur. Tout sonne juste, rien n’est forcé. A cet âge ou coucher devient une obsession, chaque pensée est dirigée vers cet objectif, chaque action doit être stratégiquement murie. Il n’y a pas de place pour le hasard. Pas le temps. Bégaudeau montre bien cette urgence adolescente. Le problème vient de la confiance en soi, mais c’est un cercle vicieux. Ceux qui réussissent à draguer les filles sont ceux qui ont confiance parce qu’ils ont déjà couché. Donc ils coucheront encore, et laisseront les non initiés dans leurs doutes.
François est en décalage social avec ses anciens amis : c’est un intellectuel qui entre en seconde générale, qui a 17,1 de moyenne en anglais, qui écrit des poèmes, qui est communiste tendance léniniste et qui lit Blaise Pascal. Ces qualités ne lui seront d’aucune aide pour coucher, à part les poèmes, peut-être. Dans le village, les jeunes boivent des Kros chez Gaga. Autour du baby où règne Tony le prophète, il y a Hicham le noir du village, Tipaul le simplet, Joe le dragueur, Eddy le roi de la vanne, Mylène la fille pas farouche, etc. Chaque personnage est attachant et permet des situations assez drôles. De même pour les partenaires éventuelles, on saisit bien les difficultés que ressent François. Charlotte est trop bourgeoise et trop belle pour lui. Céline est seulement un onze et ne sait pas combien de temps elle a mis pour écrire Voyage au bout de la nuit. Émilie et Cathy veulent bien flirter avec lui mais Émilie ne couche pas et Cathy est trop jeune. Julie, la mystérieuse solitaire de dix-sept ans semble être le meilleure parti, mais non.
Le roman est traversé par des réflexions de La Baquet, la vieille du village qui connait tous les potins et les mythes de la région. De même, Bégaudeau se souvient des objets (cassette Agfa 90 minutes) des œuvres culturelles et des modes de 86, sans pour autant en faire une époque bénie ni ridicule. « En 86 la France imite les pédés en prenant des voix aiguës et en cassant le poignet. Ça lui passera. En partie. » « Père et fils le même crocodile au sein, qu’ils délaisseront dans cinq-six ans quand les jeunes Arabes l’adopteront, je vois ça d’ici. » Comme dans Entre les murs, Bégaudeau retranscrit magnifiquement l’oralité dans les dialogues. Une fois encore, on est troublé par la justesse. Bégaudeau se permet quelques confidences sur son propre tempérament. Trop bavard lorsqu’il est gêné, « en 86 j’en suis déjà à préférer précéder une honte plutôt que la subir », « le n’importe quoi durable plutôt qu’une gène ponctuelle, c’est un choix perdant et c’est le mien. ».
Un seul bémol cependant. Je n’ai pas été séduit par la dernière partie du récit. Bégaudeau conclue son roman sur le coup de folie d’un cinéaste parisien. Dans de longs monologues, ce cinéaste montre que la réalité n’est pas réelle, que le cinéma n’est pas toujours filmé. Bégaudeau s’amuse comme un petit fou, mais tout seul, en tout cas pas avec moi. J’ai l’impression qu’il perd toutes les qualités qui font le charme de ses romans : le ton n’est plus juste et il essaye d’appuyer une thèse selon laquelle le roman n’est pas autobiographique car c’est une fiction. Au niveau du style, Éric Reinhardt aurait pu réussir ce personnage qui devient fou, mais ce n’est pas le terrain de jeu de Bégaudeau. A part ces quelques dernières pages, une pirouette pour ne pas conclure, ce roman quoique léger est très bon. Bien écrit, drôle et juste. Si Bégaudeau écrit si bien l’adolescence, c’est peut-être qu’il n’en est jamais sorti. Ce qui expliquerait pourquoi depuis vingt ans il n’a plus cessé de rire.