Italo Calvino - Le baron perché
Italo Calvino, Le baron perché (Il barone rampante) publié en 1957
"En somme, Côme parvenait à tout faire dans les arbres.
Il avait même trouvé le moyen de faire rôtir son gibier à la broche. Voici comment il s'y prenait: il allumait une pomme de pin avec un briquet et la lançait à terre, dans un âtre en pierres lisses que je lui avait installé. Sur la il pomme, laissait tomber des brindilles et des branches de fagots ; au moyen de chenêts attachés à un long bâton, il réglait ensuite la flamme pour qu'elle atteignît la broche, suspendue entre deux branches. Tout cela demandait de l’attention : dans les bois, on a vite fait de provoquer un incendie. Le foyer avait été installé sous le chêne, près de la cascade ; en cas de danger, on disposerait d'autant d’eau qu'on en voudrait.
En mangeant une partie du produit de ses chasses et en troquant le reste contre les fruits et les légumes des paysans, Côme vivait tout à fait bien, sans plus avoir besoin que notre maison lui fournît quoi que ce fût. Un jour, nous apprîmes qu'il buvait chaque matin son lait frais : il avait lié amitié avec une chèvre qui grimpait dans une fourche d'olivier - un endroit facile, à deux pieds de terre - où plus exactement appuyait là ses deux pattes de derrière ; lui, descendait jusqu'à la fourche avec un seau et trayait la bête. II avait passé le même accord avec une poule, une bonne grosse poule rouge de Padoue. II lui avait installé un nid caché, au creux d'un tronc, et trouvait là un jour sur deux un œuf; il y pratiquait deux trous d’épingle et le gobait.
Autre problème: faire ses besoins. Au début, il n'y regardait pas de si près: ici ou là, le monde est grand, il faisait là où il se trouvait. Puis il s'avisa que ce n'était pas bien agir. II découvrit sur les bords d'un torrent, la Merdance, au point le plus propice et le plus écarté, un aulne qui faisait saillie, avec une fourche sur laquelle on pouvait se tenir très commodément assis. La Merdance était une rivière obscure, au cours rapide, cachée sous les roseaux, et les pays voisins y faisaient déboucher leurs égouts. Le jeune Laverse du Rondeau vivait en civilisé, respectueux de lui-même comme de son prochain."