Jonathan Coe, La vie privée de Mr Sim (The terrible privacy of Maxwell Sim), publié en 2010
Avec La vie très privée de Mr Sim, Jonathan Coe fait à nouveau le choix de s’éloigner de ce que ses lecteurs attendent de lui. La critique de l’Angleterre Thatchérienne et du néolibéralisme présente dans Testament à l’anglaise puis dans Bienvenue au club, la dénonciation du Blairisme et du New Labour dans Le cercle fermé ne semblent plus inspirer l’auteur. Peut-être souhaite-t-il arracher l’étiquette d’écrivain « politique » qui lui colle à la peau. La pluie, avant qu’elle tombe, son précédent livre, était comme en apesanteur, loin de toute préoccupation sociale, exclusivement focalisé sur une tragédie familiale. Le livre était pourtant parfaitement écrit, structuré avec l’originalité caractéristique de l’auteur et l’épaisseur du mystère donnait au récit un intérêt particulier. Au contraire, La vie très privée de Mr Sim semble tourner à vide, écrit dans un style certes plaisant, mais sans aucune beauté et sans originalité dans la narration. Un livre mineur. Souhaitant prendre le contre-pied, Jonathan Coe manque le but.
Maxwell Sim, responsable du service après-vente d’un grand magasin, nous raconte sa brusque descente aux enfers, puis sa lente remontée. A la suite du départ de sa femme, qui part avec sa fille dans ses bagages, Max sombre dans la dépression. Il abandonne son travail et ses anciens amis, se laisse dériver lentement. Quelques mois plus tard, il devient représentant en brosses à dents, jusqu’au jour où la police le retrouve nu, dans un coma éthylique, au volant de sa voiture, sur le bord de la route. Dans l’essentiel du récit, Max se remémore les jours qui ont précédé l’évènement, les diverses rencontres et les découvertes sur sa propre vie, qui l’ont poussé vers cet épisode humiliant.
Maxwell Sim est donc un antihéros, un homme médiocre et en déroute. Ecrire un roman sur un type médiocre peut être une bonne idée, mais Jonathan Coe semble s’être fourvoyé en écrivant ce roman à la première personne. En effet, si Max est un homme médiocre, sa prose l’est également, et le lecteur prend peu de plaisir à le lire. D’ailleurs Max se vante de n’avoir jamais lu de roman et insiste à plusieurs reprises sur la pauvreté de son style ou de ses descriptions. A part le défi d’écrire à la manière d’une personne peu à l’aise avec l’écrit, on ne comprend pas bien l’intérêt d’un tel procédé narratif. Au final, on a l’impression de lire un mauvais livre de Michel Houellebecq où la médiocrité des hommes serait le pendant de la médiocrité de notre époque. Ce pseudo désenchantement vis-à-vis du monde moderne s’accompagne de ses figures déjà éculées : Coe s’adonne à l’art facile du name-dropping (les Ritazza Caffè, les costumes Hugo Boss ou la Toyota Prius), au héros qui n’a pas d’autres amis que ses amis Facebook et qui tombe amoureux de la voix féminine de son GPS. Le tout n’est pas seulement facile et déjà-vu. C’est surtout pas drôle et bête.
Conscient de la pauvreté du style de son récit, Coe essaye de compenser par l’intermédiaire de ses traditionnels changements de supports narratifs. Quatre parenthèses sont insérées à l’intérieur du récit : des nouvelles écrites par des proches de Max lui permettant d’avoir des informations sur son passé. Dans une nouvelle écrite par son père, Max apprend par exemple qu’il n’était pas souhaité par ses parents. Dans ses romans précédents, Jonathan Coe excellait dans cet exercice – qu’on se rappelle des extraits du journal intime de Benjamin dans Bienvenue au Club. Ici, on a l’impression que l’auteur se force. Ces nouvelles tombent comme un cheveu sur la soupe et le style n’est pas forcement plus réussi que la prose de Max.
Heureusement, les réflexions de Jonathan Coe sur la société moderne font encore mouche. Son regard est toujours aiguisé pour décrire les contradictions et les absurdités de notre époque. Quelques beaux passages mettent en lumière la solitude croissante de nombreuses personnes malgré l’avènement des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, la multiplication des relations froides et polluées par l’intérêt marchand, l’uniformisation des villes anglaises dans lesquelles on retrouve partout les mêmes chaînes de restaurants, l’absurdité de la communication et du marketing où chaque marque fait n’importe quoi pour se faire remarquer, les dérives de la finance qui ont entrainé le chômage et la désindustrialisation, etc. De même, la psychologie des personnages est parfaitement maitrisée, le lecteur comprend comment une personne peut progressivement perdre les pédales.
Pourtant, cela ne suffit pas. Le talent du romancier anglais ne peut définitivement pas s’exprimer à travers les mots de Maxwell Sim.
Maxwell Sim, responsable du service après-vente d’un grand magasin, nous raconte sa brusque descente aux enfers, puis sa lente remontée. A la suite du départ de sa femme, qui part avec sa fille dans ses bagages, Max sombre dans la dépression. Il abandonne son travail et ses anciens amis, se laisse dériver lentement. Quelques mois plus tard, il devient représentant en brosses à dents, jusqu’au jour où la police le retrouve nu, dans un coma éthylique, au volant de sa voiture, sur le bord de la route. Dans l’essentiel du récit, Max se remémore les jours qui ont précédé l’évènement, les diverses rencontres et les découvertes sur sa propre vie, qui l’ont poussé vers cet épisode humiliant.
Maxwell Sim est donc un antihéros, un homme médiocre et en déroute. Ecrire un roman sur un type médiocre peut être une bonne idée, mais Jonathan Coe semble s’être fourvoyé en écrivant ce roman à la première personne. En effet, si Max est un homme médiocre, sa prose l’est également, et le lecteur prend peu de plaisir à le lire. D’ailleurs Max se vante de n’avoir jamais lu de roman et insiste à plusieurs reprises sur la pauvreté de son style ou de ses descriptions. A part le défi d’écrire à la manière d’une personne peu à l’aise avec l’écrit, on ne comprend pas bien l’intérêt d’un tel procédé narratif. Au final, on a l’impression de lire un mauvais livre de Michel Houellebecq où la médiocrité des hommes serait le pendant de la médiocrité de notre époque. Ce pseudo désenchantement vis-à-vis du monde moderne s’accompagne de ses figures déjà éculées : Coe s’adonne à l’art facile du name-dropping (les Ritazza Caffè, les costumes Hugo Boss ou la Toyota Prius), au héros qui n’a pas d’autres amis que ses amis Facebook et qui tombe amoureux de la voix féminine de son GPS. Le tout n’est pas seulement facile et déjà-vu. C’est surtout pas drôle et bête.
Conscient de la pauvreté du style de son récit, Coe essaye de compenser par l’intermédiaire de ses traditionnels changements de supports narratifs. Quatre parenthèses sont insérées à l’intérieur du récit : des nouvelles écrites par des proches de Max lui permettant d’avoir des informations sur son passé. Dans une nouvelle écrite par son père, Max apprend par exemple qu’il n’était pas souhaité par ses parents. Dans ses romans précédents, Jonathan Coe excellait dans cet exercice – qu’on se rappelle des extraits du journal intime de Benjamin dans Bienvenue au Club. Ici, on a l’impression que l’auteur se force. Ces nouvelles tombent comme un cheveu sur la soupe et le style n’est pas forcement plus réussi que la prose de Max.
Heureusement, les réflexions de Jonathan Coe sur la société moderne font encore mouche. Son regard est toujours aiguisé pour décrire les contradictions et les absurdités de notre époque. Quelques beaux passages mettent en lumière la solitude croissante de nombreuses personnes malgré l’avènement des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, la multiplication des relations froides et polluées par l’intérêt marchand, l’uniformisation des villes anglaises dans lesquelles on retrouve partout les mêmes chaînes de restaurants, l’absurdité de la communication et du marketing où chaque marque fait n’importe quoi pour se faire remarquer, les dérives de la finance qui ont entrainé le chômage et la désindustrialisation, etc. De même, la psychologie des personnages est parfaitement maitrisée, le lecteur comprend comment une personne peut progressivement perdre les pédales.
Pourtant, cela ne suffit pas. Le talent du romancier anglais ne peut définitivement pas s’exprimer à travers les mots de Maxwell Sim.
« J'ai déjeuné tard, dans un certain Caffè Ritazza, sur l'aire de Knutsford. Comme je roulais lentement depuis Lichfield pour faire des économies d'essence, il était déjà deux heures et demie quand je suis arrivé. Le café (peut-être faudrait-il dire « caffè » ?) se trouvait au premier étage, à l'entrée de la passerelle qui enjambait l'autoroute, reliant les deux moitiés de l'aire de services, et je me suis attablé devant les baies vitrées pour regarder passer les voitures. Ainsi occupé, je repensais au Dr Hameed et à Miss Erith, en route pour la campagne où ils iraient se régaler dans leur pub tout en déplorant la mort lente de l'Angleterre chère à leur souvenir. Je n'étais pas sûr de partager leur point de vue. Certes, je soutenais la philosophie des Brosses à Dents Guest, mais à titre personnel j'apprécie beaucoup de pouvoir arriver dans n'importe quelle ville, de nos jours, avec l'assurance d'y trouver les mêmes boutiques, les mêmes bars, les mêmes restaurants. Parce que les gens ont besoin de cohérence, dans leur vie. De cohérence, de continuité, ces choses-là. Sinon, c'est tout de suite le bazar, les problèmes. Vous arrivez dans une ville inconnue, Northampton, mettons, et vous n'y trouvez que des restaurants dont le nom ne vous dit rien. Il va falloir en choisir un au hasard, sur la simple foi de la carte, ou de ce qu'on aperçoit derrière la vitre. Et si on y sert de la merde? N'est-il pas plus agréable de savoir que partout dans le pays on trouvera un Pizza Express, où commander une américaine épicée, avec des olives noires en supplément? N'est-il pas plus agréable d'en finir avec les mauvaises surprises? Moi, je trouve que si. »